5 Avril 2006,
il y a un an. Nous n'avions plus de toit. Quelle histoire de fou !
Bon ben voilà ! Les travaux, c'était il y a un an... et on ne peut pas vraiment dire que nous soyons proche du dénouement (mais nous avons un toit maintenant !).
Comme ça n'avance que peu en ce moment, je vous propose un petit interlude, histoire de changer un peu de sujet, car tout de même, y'en a marre des travaux !
Il y a tant d'autres sujets de conversation passionnants ! Tenez, par exemple, les transports en commun ! Il n'y a rien de moins commun que les transports du même nom et le sujet n'est pas plus ennuyeux que de parler d'un chantier.
Voyez-vous, lassée de mon chantier, j'ai repris provisoirement le chemin du boulot. Et me voici donc le matin, chevauchant mon CT50 (c'est presque un collector !), pour aller prendre le train. Casquée et gantée, je pars sur ma pétrolette longer les files ininterrompues de voitures déjà excédées de devoir rester coincées derrière leurs congénères. Toute pimpante et fière, je double mes voisins, leur adresse un coucou taquin et file à l'heure prendre mon train. Le voici qui arrive au loin, serpentant comme un ver de terre. Il ralentit, s'arrête devant les petits troupeaux de voyageurs hagards, programmés pour monter et descendre sans se poser de question.
J'y suis. Quel bonheur ! Il faut jouer du livre à livre ou du journal-journal pour se frayer un espace acceptable. Enfin le temps de lire ! (c'est quand même le principal intérêt des transports en commun franciliens). Le wagon est curieusement calme malgré le nombre important de personnes. Les visages sont fermés, insensibles et absents. Les voyageurs sont répartis en deux classes sociales : ceux de la première heure, les vernis qui sont assis, et puis le troupeau (dont je suis), balloté au gré des irrégularités du trajet. Certains lisent un livre ou un journal, d'autres paraissent endormis. Pourquoi ont-ils tous la tête baissée, en ce début de journée, comme s'ils faisaient pénitence ? Un jeune se fait bercer par un fond musical, qui profite d'ailleurs à la moitié du wagon. Je rigole en voyant la taille ridiculeusement petite de son MP3 et en repensant au baladeur à cassette que j'utilisais étudiante (encore un collector). Un homme debout pose la main sur l'épaule de sa femme assise, qui la lui saisie et la caresse. Comme c'est agréable un peu de tendresse dans ce monde en détresse ! Les vitres s'embuent au fur et à mesure des minutes qui s'échappent. "Val d'Or" : tiens, une gare pour ma fillette. Les maisons défilent. Les ouvriers sont à l'oeuvre dans les chantiers, les enfants courent dans les cours d'école. Un volet se remonte et laisse apparaître une petite mamie en robe de chambre et bigoudis. "Bonjour, Madame ! Le ciel est bleu, c'est une belle journée de printemps. Profitez-en."
Nous nous engouffrons dans un tunnel, noir comme un four. Les livres se rangent, les journaux se plient, les têtes se relèvent et prennent un air sévère et toujours aussi absent. Tout le monde est sur le qui-vive. "La Défense" ! Les portes s'ouvrent et, toutes griffes dehors, la foule se rue comme un seul homme, vers les escaliers. Un inconscient défie le courant de cette marée humaine, dans l'espoir fou de monter l'escalier et d'attraper le train qui, narquois et indifférent, annonce déjà la fermeture de ses portes.
Le courant me porte, presque sans toucher terre. Pas le choix, marche ou... marche. Deux couloirs se croisent créant un premier ralentissement. Puis un deuxième se forme devant la barrière de péage. St Arnoult, un dimanche de grand retour ! Plus lucide que mes collègues défenseurs, je me faufile vers la file de droite qui est, comme toujours, plus rapide et, avec mon passe liberT, je franchis sans encombre cet obstacle. "Cliquetis, cliquetas, passe par-là" semblent chanter en coeur les tourniquets. Je me retrouve dans le hall de la Défense, qui porte bien son nom. Il faut se battre pour avancer dans le sens choisi : les gens pressés se croisent et s'entrecroisent sans se rencontrer, se doublent et se bousculent pour aller s'engouffrer dans une autre rame, vers un autre tunnel. On ne reste pas à la Défense, on y correspond mais pas humainement. Quelques courageux essayent de croiser cette bande humaine pour entrer dans un magasin, parfois en vain.
Absorbée par la masse noire de la foule dont seuls les pas martèlent le silence, je me dirige irrémédiablement vers la bouche indiquant victorieusement les numéros des lignes de bus tels les numéros gagnant du loto. Là, deux grandes langues avalent ses victimes, consciencieusement, les unes après les autres, vers une journée plus ou moins glorieuse.
En haut de l'escalator, une tour surplombe l'entrée du gouffre et un bout de ciel apparait comme pour rappeler que nous vivons bien sur la planète bleue. Pas le temps d'en profiter, virage à droite, direction l'aérogare... des bus. C'est un long couloir fait de briques et d'acier avec des spots alignés au plafond rappelant une piste d'atterrissage. D'ailleurs, on a vraiment l'impression d'être dans un hall d'aéroport (en moins propre). Des deux côtés se trouvent, tous les 20 mètres, les portes d'accès au bus avec le numéro du vol. Des écrans indiquent le prochain départ et les usagers se pressent dans ce long couloir propice aux sprints.
Comme un mouton de panurge, je m'entasse dans la masse bigarrée du 258 en partance pour Nanterre. Toujours ce même silence matinal. Une petite femme arrive et tombe dans les bras d'une de ses collègues. La conversation va bon train : "ça va ?" dit la première à la tête de Julie Andrews dans "La mélodie du bonheur" et au sourire béat. "Et le boulot, ça va ?". Non, décidément, la pauvre petite femme ne va pas, entre un chef évidemment acariâtre et exigeant et une mauvaise nuit à cause de maux de dos qu'elle a souvent, mais c'est pas grave, ça va passer et, non, elle n'a pas vu de docteur... "Et sinon, ça va ?"... Sauvée par l'arrivée du bus, Julie Andrews coupe court au monologue de sa petite collègue collante pour se concentrer sur son ticket à valider et sur sa place dans la file (si on peut utiliser ce nom pour l'amas de personne qui se pousse pour obtenir chèrement sa place dans l'embarquement en cours). "On tasse ! On tasse encore un peu au fond, s'il vous plait !" C'est qu'on en met du monde dans un bus !
Nous démarrons. Toujours le silence mais à y bien écouter, on peut entendre le tintamarre assourdissant des pensées des uns et des autres : la fièvre du petit, les prochaines vacances à prévoir, le rapport à finir pour avant-hier, la grand-mère souffrante, la météo du jour, le rendez-vous avec l'instituteur, le frigo vide, le bac du grand à réviser, la voiture en panne, le loyer à payer, les impôts à provisionner, le déménagement à organiser, la rupture à annoncer, la bonne soirée d'hier et la nuit torride qui a suivie, Sarko et Ségo, etc. Et ce bus qui se traîne... A mes pieds, un autocollant fixé sur le sol propose les services à domicile d'un ostéopathe... Où est-elle la petite dame souffrante ?
L'arrêt "Les Bergères" est annoncé et son resto pour noces et banquets : ici, on me fête, chouette ! Montées et descentes s'entrecroisent en râlant. Et le bus, toujours aussi lourd, repart péniblement.
Un voyant rouge s'allume, tandis que le haut-parleur me sort de mes conjectures sur la nature humaine : "fini dodo, fini métro ! Au boulot !" me lancent les deux en choeur !
J'y suis enfin, après une heure ! La journée peut commencer sans heurt. Prendre les transports, c'est pas pire que de vivre dans un chantier ! Mais, quitter mon chantier, voyez dans quels transports cela me met !